GROUND ZERO
Tout part d’une hypothèse. Un peut-être. Quel qu’il soit. La possibilité d’une catastrophe, d’une issue cataclysmique au déluge de mauvais présages qui sans cesse abreuve le paysage médiatique. Et alors le chaos. Les sociétés verticales érigées toujours plus haut qui s’effondrent. Avec elles les hiérarchies du pouvoir, la répartition des richesses, les organisations religieuses, le progrès technologique, les moyens de communication. Jusqu’à la cellule familiale. Babel en ruine, demeure l’envie de survivre des rescapés.
Ce projet démarre aux premiers jours de l’après. Il pose la question de ce qui se re-crée lorsque disparaît la structure du monde tel que nous le connaissons. Lorsque le château s’écroule. Il propose une redistribution des cartes à partir des décombres, dans la matière brute de décors dépouillés. Une réinvention des rôles et des rapports humains, des codes et des modèles sociaux quand la norme qui les consacrait et les mécanismes qui les répandaient ont volé en éclats.
Contraints de repartir de zéro, sur le lieu-même où l’imprévu originel les a saisis, hommes et femmes forment de nouvelles tribus. Un collectif de circonstance, bâti sur le besoin de vivre ensemble et de s’adapter. Et à nouveau départ, nouvelle esthétique. Parce que des cendres encore tièdes peut jaillir l’étincelle de l’avenir, c’est vêtus des oripeaux de l’ancien monde qu’ils renaissent dans celui de demain. Ainsi qu’ils se présentent, assemblée énigmatique de guenilles et de breloques, forts et dignes pourtant.
Pour répondre à cette vision personnelle d’un « au-delà la fin de l’histoire », pour nourrir l’écriture fictionnelle d’une initiative bien réelle de partage et de deuxième vie, Ground Zero fait appel à Emmaüs Défi. Aux encadrants et aux salariés en réinsertion de ce mouvement – qui s’appuie sur le don et la générosité – d’incarner alors celles et ceux qui ont tiré des vestiges de quoi se couvrir et recommencer.
Ainsi parés, réduits encore à une forme d’obscurité matricielle où se façonnent les corps en devenir, ils composent des portraits de groupes desquels surgissent par touches, insidieusement, la trajectoire personnelle et le bagage culturel gravés dans la mémoire de chacun. Ils racontent une histoire, l’éventualité d’une histoire, que chacun pourra dérouler selon sa propre imagination. Pour entrevoir, au jour nouveau d’un monde nouveau, les lignes floues d’une autre voie.
Plus libre peut-être.
Thomas Flamerion