UNSUNG HEROES
Ce projet – né de la volonté partagée avec Médecins du Monde de témoigner de la violence du monde telle qu’elle s’impose aux femmes – je m’y suis plongé avec enthousiasme. Sans savoir où il me conduirait, sans mesurer l’ampleur de ce qui, au terme du voyage, nourrirait le document qu’est aujourd’hui Unsung Heroes.
Pendant huit mois, dans neuf pays à travers le monde, elles ont été plus de cent à me faire confiance, à m’accepter derrière le micro, derrière l’objectif. Malgré la barrière de la langue, les codes culturels et les épreuves personnelles, ces femmes ont livré leur histoire. Elles ont brisé le silence avec courage, sincérité. Avec des larmes aussi, une émotion déchirante. Toutes ont posé sans fard, en conscience, préparées et accompagnées par l’ONG. On ne revient pas intact de telles rencontres. La réalité, frontale et sensible, dépasse largement l’idée que je m’en faisais.
Dès les premiers portraits en Bulgarie, c’est le choc. La rencontre avec les femmes de la communauté Rom condamnées à se marier et à enfanter dès l’adolescence dans l’enceinte crasseuse d’un ghetto. Violence et pauvreté extrême. Violence morale, éprouvée par les déracinées syriennes et palestiniennes. Violence sexuelle, exercée sur les femmes au Congo ou en Colombie. Violence domestique, viols collectifs, barbarie. Jusque dans nos capitales européennes où des femmes abusées, exploitées, acculées par la précarité se heurtent au rejet et à la haine.
Depuis trente ans, j’ai photographié de nombreuses femmes en représentation. Elles attendaient de moi une image contrôlée, lisse, sans accroc. Ici, avec les unsung heroes que j’ai rencontrées, ce sont les ombres qui entrent dans la lumière. Des bleus et des fêlures à la surface de la peau, dans le creux des yeux. Ce sont les voix, les mots, le timbre authentique de l’expérience intime de la violence qui s’expriment. Pour dire la souffrance particulière vécue par les femmes. Pour dire aussi la force d’être femme. La capacité à se relever et à se battre, encore.